Le jour où les femmes s'emparèrent de l'horreur

Publié le par Mangelune

Après le chouette livre sur Hayao Miyazaki, j'ai pu lire mon deuxième ouvrage des éditions Moutons Électriques, reçu pour noël :

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Bit-Lit ! L'amour des Vampires

C'est le premier ouvrage théorique en France à traiter de la grande vague qui déferle dans nos Fnacs et exhibe quantité de jeunes femmes à la plastique irréprochable, armées de moult flingue et lattant des monstres auxquels elles finissent irrémédiablement par ressembler, les derniers rejetons de la Fantasy urbaine et des policiers féminins (des Harlequin diront certains), dévorés par quelques-unes, méprisés par beaucoup d'autres. Y a-t-il plus là-dedans que ce qu'on voit directement, ou ces ouvrages ne sont-ils que les déversoirs des fantasmes les plus éculés de nos concitoyennes, écrits à la chaîne, dénués de qualité d'écriture comme de fond ? Grand admirateur de Buffy et amateur d'Anita Blake, je me posais la question, d'où cet achat risqué.

Sophie Dabat m'a bel et bien apporté une partie de la réponse. Il y a quelque chose derrière cette vague que l'on considère un peu vite comme constituée uniquement de merdes conçues selon des recettes stéréotypées. Oh, certes, la vague en elle-même a bel et bien été fabriquée et alimentée en France par des éditeurs trop heureux de pouvoir vendre du livre (on peut les comprendre). Le succès retentissant de Twilight auprès des adolescentes et de certaines femmes n'a été que le propulseur d'une vague entamée en silence il y a plus de vingt ans. Car cette appropriation de l'horreur par la gente féminine n'est pas une simple mode passagère mais bel et bien une évolution importante d'un genre, son adaptation controversée à la société du moment. Bien sûr, l'emballement des sorties au détriment de toute raison finira par essouffler le désir des lecteurs et renvoyer tout cela dans les limbes en attendant la prochaine mutation, mais croire qu'un tel engouement a pu être créé de toutes pièces par les Agents du marketing serait se leurrer.

Cette littérature fleuve multipliant les tomes et les rebondissements devrait évoquer le roman feuilleton, le pulp, les comic-books, les séries, toutes ces créations de l'imaginaire qui ont eu l'ignoble prétention de préférer un style plus évident, plus accessible au grand-public (et donc d'être suspectées de pactiser avec l'ennemi de l'art, l'or), d'opter pour le foisonnement immédiat et les émotions au détriment de la réflexion et de la raison et souvent même, soyons honnêtes, de la qualité d'exécution. Car la qualité d'un Anita Blake comme d'un X-Men ou d'un Trois Mousquetaires s'apprécie moins sur un volume que sur une dizaine, tandis qu'au fil des épisodes les thématiques finissent par se dégager et les héros évoluer.

Les romancières pratiquant la Bit Lit ont en effet bien compris que l'intérêt du fantastique était de pouvoir parler de la sauvagerie qu'abritait l'être humain. La différence, le rejet, la place de la femme mais aussi ce qu'elle compte faire d'une liberté acquise avec difficulté, la sexualité, la mort... des sujets abordés un peu partout mais souvent traités de façon univoque, moralisatrice. Un écueil que parvient souvent à éviter cette littérature qui profite justement du manque de sérieux qu'on lui accorde pour aller jusqu'au bout de ses interrogations. Là où on pouvait s'attendre à ne trouver au pire dans ces œuvres qu'un érotisme digne d'un téléfilm aux couleurs chaudes, on voit se dérouler au fur et à mesure de la descente aux enfers du personnage principal tout ce que l'être humain recèle en guise de fantasmes inassouvis (jusqu'à la zoopholie métamorphe dans Anita Blake), le tout sans jamais perdre de vue la logique de la progression dramatique et psychologique des personnages. Les personnages principaux sont ainsi malmenés, isolés, maltraités, mais les choix difficiles qu'ils font dans l'adversité ne font au fond que les grandir.

Même une œuvre comme Twilight, souvent décriée en raison de certains aspects jugés réactionnaires et d'une écriture d'une simplicité désarmante, possède en elle une ambivalence puissante. Chasteté, sexe après le mariage, punition pour avoir fauté, amour fidèle... tout cela est justifié par de nombreux éléments scénaristiques relativement crédibles mais pâlit surtout devant la violence des désirs adolescents, le tiraillement de l'héroïne entre deux hommes emprunts de bestialité sans parler du refoulé qui fait brusquement son apparition dans le 4ème tome et explose littéralement au visage de nos protagonistes (mais comment vont-ils pouvoir s'en sortir au cinéma ?). Alors oui ; Twilight est une œuvre emprunte de mormonisme, mais cette religiosité morale semble perpétuellement en lutte avec la brutalité des désirs taraudant chaque être humain, et c'est sans doute ce tiraillement terrible qui a contribué à faire de la tétralogie un tel succès.

Il est probable qu'on parlera avec nostalgie de cette vague créative dans quelques années, oubliant les mauvais produits que le succès finit toujours par faire émerger, oubliant aussi qu'en 2010 les amateurs de fantastique en sont les premiers détracteurs, comme ce fut sans doute le cas pour les vagues populaires qui l'ont précédée.

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